Textes entendus aux funérailles de Denis Cacheux
Texte de Claude Vadasz Texte de Pierre Henry Le temps des cerises La violence et l'ennui Quelques mots de la part des amis d'Anne et Denis (lu par Alain Nempont) Dans notre métier, c'était bien connu, Denis était souvent - très souvent - en retard à ses rendez-vous. Il le regrettait, cherchait à inventer des stratagèmes pour se piéger lui-même, comme faire des agendas qui avançaient d'une heure. Rien n'y faisait, Denis était souvent, très souvent, en retard.Mais personne n'aurait eu l'idée de lui en faire reproche. D'abord parce qu'il s'en blâmait aussitôt, présentait des excuses avec gentillesse et sincérité. Et
puis on savait. On savait que pour Denis il n'y avait pas assez
d'heures dans une journée, pas assez de minutes dans une heure. Car il
lui en fallait du temps, à Denis, lui qui était si curieux du monde,
curieux des hommes, si attentif à leur existence, à leurs soucis, à
leurs espoirs. Si Denis avait parfois sur l'humanité un regard sarcastique, s'il ne se faisait pas trop d'illusions sur la bonté naturelle de l'homme, il n'en gardait pas moins l'espoir que cela change, un jour, quand même ! Denis nous a aidé à vivre. Un artiste, disait Jacques Brel, c'est quelqu'un qui a mal aux autres. Bouclier. Parce qu'il a mis le meilleur de sa force au service de la
défense et de la protection des autres. Il ne supportait pas l'injustice, le
cynisme de tous les pouvoirs le révoltait, et pour combattre ces maux, il
montait toujours en première ligne et dressait son bouclier. Le masque et la plume. Il mettait un point d'honneur à manier avec précision
et rigueur la langue française, qu'il l'écrive, la parle ou qu'il la chante. Ne lui en déplaise, Denis était également, aussi bien que comédien selon moi, un merveilleux chanteur. A l'ancienne, sans micro, sans ampli. Un chanteur de rue passionnant, à l'oeil pétillant de malice. Il se plantait là au milieu du pavé ou debout sur une table, il apostrophait voire invectivait les gens pour qu'on l'écoute, pour nous désarmer ensuite d'un sourire charmeur. Et aussitôt tout le monde l'écoutait. Voilà, il y aurait encore bien des choses à dire. Nous avons perdu un
grand artiste, un grand ami et un grand bonhomme. La disparition de Denis Cacheux jette le trouble dans l'esprit et le cœur de tous ceux qui l'ont connu. Il va manquer. Il a donc quitté la scène sur un coup d'éclat, mais à y réfléchir, il ne pouvait en être autrement pour un homme qui aura passé sa vie à la mettre en représentation. Quelqu'un qui aura consommé jusqu'au bout les noces de la conscience et du logos, à la fois raison et parole. En effet, Denis Cacheux était tout sauf un « assis » comme disait Rimbaud, Il se tenait bien droit dans son corps, prêt comme les stoïciens à toutes les expériences sacrificielles héritées peut être d'un certain romantisme Spartiate, tourné vers la vertu, voire une austérité du manque. Un corps donc qui était aussi pour un homme de spectacle le pivot de sa visibilité. Compte tenu de ses origines bourgeoises et catholiques, il aurait pu être, comme au temps jadis, un soldat de Dieu, mais la divinité avait perdu son emploi par rapport à la philosophie. Parler de son corps, celui qui fut retrouvé face à la mer du Nord, traversée si doucement par la mélancolie des poètes, c'est évoquer chez lui, la vigueur physique, le mouvement, et même le décor un peu bravache comme la boucle d'oreille destiné à être signifiant. Le corps, c'était aussi, bien sûr, la voix. Elle lui avait permis, sur les plateaux ou dans les réceptions, sur les planches ou dans la rue, d'accéder au statut de fort en gueule. Il en avait usé sur toutes les gammes, la chanson, le discours, l'interpellation privée ou publique, depuis la désobéissance civile jusqu'à la jacquerie en passant par la dissidence, l'opposition, la fronde. Cependant, ces implosions orales ne manifestaient chez lui aucun parti pris de violence. Elles exprimaient avant tout un combat moral et social, d'abord intérieur puis porté sur la place publique par une vocation de la défense comme fut celle de l'avocat, son père. D'ailleurs, on se pose toujours à son sujet la question du déclic originel. On aurait pu, en effet, douter de cette étrange mutation conduisant d'une éducation droitière et bienséante à la souveraineté des idées de Gauche. Mais le chanteur portant des rouflaquettes et la casquette prolétaire, arpentant les rues de Montmartre ou celle des festivals, dévidant à l'accordéon les chants révolutionnaires de la Sociale, n'avait rien d'un imposteur. Guidé par une opiniâtre volonté de justice, il avait, sans rompre affectivement avec sa famille native, assumé la différence et pris des risques avec sa propre vie guettée souvent dans sa fonction d'artiste par le manque et la nécessité. On le vit défendre sans relâche un certain nombre de causes et monter courageusement à l'assaut des pouvoirs établis au péril de sa carrière. Je suis de ceux qui pensent que cette marginalité, cette capacité de générosité et d'engagement, cette multiplicité de profils, ont brouillé la dimension de sa personne et nuit à une reconnaissance artistique authentique. Confiné assez souvent à des emplois périphériques ou à des seconds rôles, il n'est pas, aujourd'hui pour ses amis, pour son public, un mort de seconde classe. Je salue sa personnalité considérable et son action. Je le pleure au titre de conquérant de l'Impossible, celui des rêves d'équité et de fraternité. Au titre de l'humanité de cœur qui ruisselait de son talent tragique ou comique. Au titre des joies qu'il a répandues autour de lui. Au titre des services qu'il a rendues à cet empire des émotions et des nuages, à cette maison-mère du théâtre et de la scène où les fictions qui semblent accessoires aux ignorants, nous aident en réalité depuis toujours à trouver la vérité. Bravo, l'artiste ! Au revoir l'ami ! Le temps des Cerises (4e couplet) chanté par Anne Cuvelier J'aimerai toujours le temps des cerises LA VIOLENCE ET L'ENNUI (Léo Ferré) texte lu par Christophe Piret Nous d'une autre trempée et d'une singulière extaseNous de l'Épique et de la Déraison Nous des fausses années Nous des filles barrées Nous de l'autre côté de la terre et des phrases Nous des marges Nous des routes Nous des bordels intelligents O ma soeur la Violence nous sommes tes enfants Les pavés se retournent et poussent en dedans J'ai l'impression démocratique qui me fait des rougeurs A l'extrême côté du coeur et des entrailles J'entends par là mes tripes à la mode de Mai JE VOUS COMMANDE D'ÊTRE BREFS ET COUILLOSIFS J'ai le sentiment bref de ceux qui vont mourir Et je ne meurs jamais à moins que à moins que Je sais des assassins qui n'ont pas de victime Qui s'en vont faire la queue pour voir le sang d'écran Et cette pellicule objective qui pellicule sur le vif Surtout ne pleure pas Les larmes c'est le vin des couillons Moi je ne pleure plus Et je le dis bien haut bien tendre aussi et bien à l'aise; Crevez-leur le paquet qu'ils portent sur leurs quilles! Marx était un "hippie" C'est pas comme en dix-sept, à la consigne, Dans cette Russie rouge à la lénifaction ... Et personne jamais n'a été réclamer ce barbu stalingradé... Quand je vois un stalinien je change à Stalingrad Je sais des assassins qui ont le cran d'arrêt Et qui sont beaux comme les cons qui vont voter Des assassins assassinés et leurs manières A ne jamais vouloir crever comme crevèrent les Communards Mes frères Et je le dis bien haut: il faut DÉCONSTITUTIONALISER le foutre Et porter l'inconfort cousu dessous leur peau A ces bourgeois qui se permettent de jouir, en outre! JE VOUS COMMANDE D'ÊTRE BREFS ET CARTÉSIENS Je sais des charmes bruns qui sont de sang caillé Et qui se grattent comme on gratte une blessure Ça vous ravive un peu de rouge, ça a l'allure D'une légion d'honneur que l'on pardonnerait. Ô ma soeur la Violence Ô ma soeur lassitude Ô vous jeunes et beaux empêtrés dans vos livres II faut faire l'amour comme on va à l'étude Et puis descendre dans la rue II faut faire l'amour comme on commet un crime Ô ma soeur la Violence tes enfants s'analysent Et du Guatemala s'en viennent des parfums De sang et des Guatémaltèques allant s'analysant Dans les ruisseaux de sang coulant comme la crème La crème de la Révolution montant Ô ma soeur la Violence Ô la fleur du boucan II fait un bruit à rancarder tous les voyeurs Et un bruit qui se voit ça vous a des couleurs A vous barrer la vue pour des temps et des temps Je sais des bises s'ennordant depuis l'Afrique Le monde est court, la gosse, il faut tâter la trique Dans le pieu, dans la rue, mais tâter de cet ordre De cet ordre nouveau où germe le désordre Le beau désordre des voyous au ventre lisse Viens par ici la gosse un peu, que je t'en glisse... De ma graine d'amour... Qui gonflera dans toi comme un chagrin de carne Sur le monde envahi de tant de muselières Dans le Paris des chiens je vais l'âme légère Ô ma soeur la Violence Ô ma soeur lassitude Ô vous jeunes et beaux empêtrés dans vos charmes II faut faire l'amour comme on va à l'étude Les yeux vers les jardins où fleurissent les armes Des armes, comme une esthétique de la solitude Des armes, comme une sinistre compo d'angliche WHAT DO YOU MEAN, GUN? Je sens que nous arrivent Des trains pleins de brownings, de berretas et de fleurs noires Et des fleuristes préparant des bains de sang Pour actualités colortélé Le sang ça s'ampexe tout ce qui y'a de bien Le sang c'est rentable dans la technicoloration Et je te ferai voir un sang vert quand il sera question de questionner Je sais des fleurs d'amour qui polennent les blés Et qui vous font un pain que l'on mange à genoux Un pain de chair vivante et que l'on aimerait Comme on aime une enfant que cache ses atouts Et qui les touche un peu comme on caresse une arme Un doigt sur la gâchette et le reste aux abois Et que s'irise alors ta violette de Parme Enfant mauve de mon silence et de ma loi Des armes, comme une esthétique du pain sur la planche Des armes blanches comme l'aube blanche à Paris Cette aube comme le foutre de l'absence NOUS SOMMES ABSENTS, MESSIEURS! L'amour toujours l'amour Ah! cet amour malade Comme une drogue dont on ne peut se dédroguer Comme une drogue à laquelle je me soumets Je suis un trafiquant d'amour... Des armes, comme un sourire de l'autre côté de la tête Comme une façon de désarmer Comme un chien qui vous aime Des armes qui vous lèchent, qui vous sortent, qui vous bercent Des armes pour inquiéter l'inquiétude Et puis le Code de la peur à distribuer A tous ceux qui habitent avec la peur ou que la peur habite Art. l J'ai peur Art. 2 J'ai peur Art. 3 J'ai peur Art. 4 Où sont les toilettes? Des armes, comme une esthétique de la solitude Quand on est seul et armé on n'est plus seul Quand on est seul et désarmé on fait une demande pour être CRS L'amour toujours l'amour Ah cet amour serein Cet amour qui vous monte à la bouche comme une grenade Qu'on ferait bien éclater dans quelque ventre passant Dans quelque ventre curieux, oisif, en mal d'amour Des armes, comme un planning de la résurrection Et quant aux armes blanches, on pourrait les teinter de rouge Dans une teinture particulière et à la portée de toute portée Nous d'une autre trempée et d'une singulière extase Nous de l'Épique et de la Déraison Nous de l'autre côté de la terre et des phrases O ma soeur la Violence O ma soeur de Raison Au quartier des terreurs des enfants se sont mis A brouter des étoiles La Voie Lactée s'amidonnait dedans leurs toiles Et la carte du ciel dans ce quartier de France Indiquait aux passants la route à ne pas suivre II brumait dans le ciel des paroles de givre C'était d'un cinéma nouveau et d'une danse Qu'on ne dansait plus avant longtemps. Nanterre Se prenait pour Paris et le tour de la terre Se faisait sur lin signe, une pensée de fièvre Un désir de troubler les fleurs et les manières Une particulière oraison, un. sourire, À mettre les pavés à hauteur d'un empire Le sable des pavés n'a pas la mer à boire Ça sent la marée calme dans les amphis troublés Des portés de secours sont ouvertes là-bas II suffit de pousser un peu plus, rien qu'un geste... |