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                                                         VDN-logo.gif (3894 octets)    Edition du mardi 15 mai 2001

Souvenirs

Textes : Christophe CARON - Photos : Bruno MARUSZAK
Le joyeux bric-à-brac du Broquelet

La fête des dentellières ressuscitée a donné des couleurs festives au quartier de Wazemmes, dimanche. Au programme : cortèges, chansons, histoires d'antan et liesse populaire.Hymne à Wazemmes
IMAGINEZ, en plein coeur d'une rue Gambetta écrasée par le soleil, un cortège chatoyant et résolument hétéroclite, avec fanfare délirante et costumes d'une époque incertaine, du moment qu'ils évoquent le temps jadis.
En tête, coiffé d'un élégant haut-de-forme, on trouve le maire de la commune libre du Vieux Wazemmes, accompagné de sa cour : un « ambassadeur-secrétaire de la société des hypocondriaques en activité » ; un garde-champêtre « assermenté et assez remonté », ou encore une « chef d'escadre des bateaux-lavoirs de l'Arbonnoise, orgueil de nos blanchisseurs. » Ajoutez à cela des chevaux convoyant des rangées de sages dentellières, ou encore des laquais qui se surprennent à faire des courses de vinaigrettes, ces chaises à porteurs sur brouettes, taxis lillois du 18e siècle...
Ce joyeux défilé multicolore, c'était un des nombreux tableaux proposés ce dimanche dans le cadre de la fête du Broquelet ressuscitée, une fête à l'ancienne dont « l'objectif est de préserver la mémoire de Wazemmes » dans la « vieille tradition des communes libres », et avec un souci de « convivialité entre toutes les communautés », selon les propres termes du maire d'un jour, Pierre Potié, président du club des ambassadeurs de Wazemmes.
Au départ, il y a la volonté de cette association et de beaucoup d'autres encore, sous la houlette de la compagnie Tant qu'à Faire de Denis Cacheux, de redonner vie à la vieille tradition lilloise des dentellières (voir ci-dessous) par l'intermédiaire du spectacle de rue.
« Ch'est nous z'ot »
A l'arrivée, on a trouvé une stupéfiante fête populaire qui a permis auphoto quartier de mettre en avant tout ce qui fait sa spécificité. Le Wazemmes des clichés et des cartes postales, celui des joueurs d'accordéon et des portraitistes, celui des chansons patoisantes et des bals organisés sur le parvis de l'église Saint-Pierre-Saint-Paul. Mais aussi le Wazemmes de la nostalgie, celui des anciens, aux visages sculptés par les années, et dont les souvenirs d'enfance ont été narrés dans l'enceinte du Biplan pendant l'après-midi, autour d'un genièvre. Ou encore le Wazemmes des joyeux utopistes de l'impasse Villain, où le cortège a fait halte. Une cour traditionnelle, perpendiculaire à la rue Gambetta, que les habitants (enseignants, artistes, horticulteur ou chômeurs...) s'efforcent d'entretenir et de décorer en espérant qu'elle ne sera pas rasée. « Il faut garder ce patrimoine, confie Jean-Louis, locataire du numéro 1 de la cour, mais c'est le pot de fer contre le pot de terre. »
« Célébrer le peuple de Wazemmes d'hier, d'aujourd'hui et de demain », résume Denis Cacheux, devant une troupe qui a emmené un très large public dans la farandole. Des marionnettistes ; les billards Nicolas et les parties de grenouille de l'association Wellouëj (jeux traditionnels) ; un choeur estampillé « Ch'est nous z'ot à Wazemmes » ; l'apparition de Chamane, géant de la Braderie et « grand maître des moules et des frites » ; la naissance d'Alphonse, un mini-géant qui en est toujours à l'état de prototype mais qui deviendra grand « s'il y a des sous » ; et un bal folk pour mettre un terme, au bout de la nuit, à un week-end de folie où le visiteur aura pu zapper d'une émotion à l'autre, au gré de ses envies.

 Les dentellières étaient à la fête, à l'occasion du 140e anniversaire du dernier bal du Broquelet
« Un centimètre en une heure ! »

photo« J'ai commencé à prendre des cours il y a une quinzaine d'années, raconte Elizabeth, de Valenciennes, affairée sur son métier en bois, et c'est vite devenu une passion. » Une passion communicative, si l'on en juge par le nombre de promeneurs ébahis qui la regardaient manier avec une impressionnante dextérité les fils, les aiguilles et les broquelets, terme lillois qui évoque les fuseaux des dentellières. Et ne lui parlez pas de la dentelle de Calais : « Ça n'a rien à voir. Là-bas, tout est mécanique ! ».
A l'ombre des arbres de la place de la Nouvelle-Aventure, dimanche, Elizabeth a donc allié la patience et la pédagogie, en compagnie d'une quinzaine d'autres praticiennes de la dentelle venues de la métropole, de la région mais aussi de plus loin, à l'instar de Michèle Coupez, championne incontestée, originaire de Bruges.

L'éternelle

Elizabeth, elle, a bien entendu opté pour la dentelle de Valenciennes : « Je suis en train de faire un carré. Il faut compter un centimètre en une heure. Cette dentelle se confectionne avec quatre paires de fuseaux et elle est assez solide. Elle est même surnommée l'éternelle. » A l'inverse, la dentelle de Lille, concoctée avec deux paires de fuseaux, est plus fragile, plus rapide à faire et plus légère, mais elle est également beaucoup plus fine.
C'est ce savoir-faire que la fête du Broquelet célébrait jadis, à quelques mètres de là d'ailleurs. « C'était au 18e siècle, raconte Françoise, du club des ambassadeurs de Wazemmes. Le bal de la fête du Broquelet se tenait dans une guinguette, à l'endroit exact où se situent aujourd'hui les Halles de Wazemmes. » Le dernier bal s'est déroulé le 13 mai 1861. Il y 140 ans exactement. « La fête du Broquelet a néanmoins continué d'être célébrée. C'était un jour férié pour les dentellières, y compris plus tard, pour les sociétés qui travaillaient dans le textile d'une manière générale. Tout cela s'est arrêté avec l'industrialisation de Wazemmes. »
Il fut un temps où 16 000 dentellières oeuvraient à Lille. Depuis dimanche, on sait que si les années ont passé, les gestes sont restés les mêmes.
 

Zoom

Jean Vindevogel, amoureux de Wazemmes...
et de Nénette
VDN-Vindevogel.jpg (4226 octets)Dites un nom de rue à Jean Vindevogel, et il aura mille anecdotes à vous raconter. La porte de Béthune ? « C'était à la place de l'actuelle place Antoine-Tacq. Je me souviens, j'y allais quand j'étais môme, au niveau des remparts. Il y avait des vallons et des creux. C'était la campagne à 500 mètres de la rue d'Aboukir. On dévalait les pentes herbeuses sur les carcasses de poussette. Des fois, on découvrait un couple d'amoureux. Si le gars avait une casquette, on mettait les voiles. C'était les durs qui avaient une casquette. »
Un orateur hors-pair. Une mémoire vivante. Un témoin du passé. Il est tout cela à la fois, Jean Vindevogel. Porté par son inspiration et sa verve, il n'a pu s'empêcher de prendre la plume pour coucher sur papier les images pittoresques qui demeuraient ancrées dans sa mémoire. Cela a donné un livre il y a quelques années, « Wazemmes de ma jeunesse ». Et dimanche, il a évoqué tout cela au Biplan, entouré d'une poignée d'amateurs de gaufres et de bistoule.
Natif de Cahors, Jean Vindevogel n'a pas oublié le quartier qui l'a accueilli alors qu'il avait 4 ans. C'était en 1919 et l'homme restera à Wazemmes jusqu'en 1938, avant d'émigrer à Esquermes. « Mais mon coeur est toujours à Wazemmes ».
Malgré les 86 ans, le truculent narrateur a encore l'esprit vif. Et au gré des conversations, il pioche inlassablement dans ses souvenirs pour évoquer les cours aux maisons de briques rouges (« Et pas des courées ! Ça, c'était l'appellation pour Roubaix/Tourcoing »), les oiseaux qui picoraient dans le « brin d'qu'eva » (la fiente de cheval pour les non-initiés)... Ou encore Nénette, « la plus belle fille de la rue d'Aboukir, qu'on essayait de regarder à travers la fenêtre ».